La conférence IE des Echos vue par une future jeune diplômée en IE

J’ai eu la chance d’être invitée à la deuxième conférence annuelle des Echos sur l’intelligence économique, qui se tenait le 19 mai dernier aux salons de la Maison des Arts et Métiers à Paris. Avant même d’y aller, interrogeant mes collègues sur le tarif étudiant de l’entrée à la conférence (712 € au lieu de 950 €), on me répondit en riant que cet événement ne visait pas les étudiants et que je n’y apprendrais rien. Quoique naïvement surprise, je m’y suis rendue, espérant comprendre pourquoi (et secrètement que les faits leur donnent tort).

Nous étions au moins six étudiants ce jour-là (de l’EGE, de l’EEIE, des universités de Nancy, Paris XII, ou de l’ICP), venus écouter des seniors de l’IE parler aux seniors de l’IE, et ignorant superbement la nouvelle génération de praticiens, pourtant nourrie de concepts à la Juillet et à la Carayon à longueur d’année. Une génération qui, au moment où le Pôle Emploi crée un code ROME pour l’IE, a choisi de s’engager dans cette voie, pariant sur le développement des pratiques d’intelligence économique en France.

Pas à un seul moment on n’a fait mention des étudiants ou des jeunes diplômés en IE, de ce qu’ils pourraient apporter comme nouvelles pratiques à ces entreprises françaises tant stigmatisées, du changement de mentalités qu’ils pourraient provoquer dans les directions, de l’espoir qu’ils représentent pour l’avenir de l’IE.

Et pourtant, le discours de bon nombre d’intervenants de cette conférence suffirait à décourager le plus motivé des étudiants. Alors que les formations en IE existent depuis des années et se multiplient dans le pays, et devant un parterre de professionnels du secteur, on nous a répété que l’IE en était à ses balbutiements, très peu connue, encore moins pratiquée, que les dirigeants étaient très réticents à s’y mettre, et que sans le soutien de l’Etat et des institutions l’IE serait encore moins que cela.

M. Buquen notamment a insisté, dès l’ouverture de la conférence, sur l’incompétence des entreprises françaises en matière de partage d’information, ce qui n’a pas manqué d’agacer certains chefs d’entreprise présents dans la salle, à l’instar de M. Doublet (Doublet SA) qui a commencé par rectifier ces propos dès la première table-ronde. M. Buquen a ensuite présenté la délégation interministérielle à l’IE, dont il est à la tête, et son plan d’action pour « sauver » nos entreprises en difficulté.

Autre grand classique de l’argumentation en faveur de l’adoption de l’IE chez les dirigeants, l’exposé des menaces qui planent sur nos entreprises : M. Buquen nous a ainsi détaillé les types d’attaques auxquelles il faut préparer les organisations, M. Juillet a évoqué la Chine et autres pays émergents dénués d’éthique dans les affaires (le monde anglo-saxon n’étant donc plus l’ennemi n°1), mais on a aussi entendu parler des stagiaires ! Voici donc que les étudiants en IE sont mis au rang des menaces pour les entreprises !

Cerise sur le gâteau avec l’intervention de M. Salvatori, directeur de l’IE chez Total, qui affirme fièrement que la cellule IE du groupe, composée d’une petite dizaine de personnes (cherchez l’erreur), ne compte aucun professionnel de l’IE, n’intègre ni la veille ni la gestion des risques et privilégie la diffusion de l’information sous forme de notes papier à peu de collaborateurs.

Contrairement à ce qu’ont pu me dire mes collègues, j’ai beaucoup appris lors de cette conférence : Les seniors de l’IE, qui prônent l’ouverture à l’autre, ne sont pas même à l’écoute de la nouvelle génération et feignent d’ignorer qu’elle les remplacera demain. Ils se cantonnent à leur confortable position de pionniers de l’IE française, de faiseurs de discours (sensiblement les mêmes depuis dix ans), de guides pour les entreprises. L’immobilisme de l’IE en France est peut-être autant dû à cette posture qu’à l’hermétisme des dirigeants, si souvent accusés. J’ai aussi appris que l’intelligence collective ou encore la coopétition étaient loin d’être appliquées parmi les acteurs de l’IE : sans toujours viser les entreprises, prenons l’exemple des associations d’étudiants en IE qui n’établissent aucun lien entre elles… Comment alors promouvoir efficacement un esprit, une démarche d’IE, et encourager sa pratique en entreprise ?

La conférence a le mérite d’avoir proposé des thématiques transversales pour ses tables rondes et rapproché l’IE des ressources humaines, de la gestion de l’image corporate, de la culture d’entreprise ou encore de l’innovation. Pour autant, a-t-on seulement entendu une idée nouvelle exprimée lors de cette journée ? Il me semble que les vieilles idées circulent en boucle de conférence en séminaire, de colloque en cours magistral. Dans ce contexte, les vrais praticiens de l’IE, comme M. Doublet, font figure de révolutionnaires et semblent presque incompris par d’autres intervenants, qui ont l’air de parler d’IE sans véritablement la pratiquer.

Vous ayant livré mes impressions, je vous conseille d’aller lire sur Actulligence les commentaires laissés par Frédéric Martinet sur ses tweets de la journée, et les commentaires laissés par les lecteurs du billet.

Mélanie Gérault



6 commentaires pour La conférence IE des Echos vue par une future jeune diplômée en IE

  • Jean-Marc Blancherie

    C’est dramatique. Mais toutes les illusions doivent tomber : le management des grandes entreprises est en général dans un état pitoyable. Le Knowledge Management s’est un peu plus développé que l’IE, du fait des enjeux liés à ses supports technologiques plus que par lucidité. Par exemple, la question de la transmission liée aux départs massifs à la retraite n’est pas prise au sérieux.

  • Frederic Martinet

    Merci Mélanie pour le lien sur mon billet. Tes retours sont intéressants et surtout ils ont le mérite d’être honnêtes et non pas consensuels ou faussement encenseurs. Oui les jeunes diplômés n’ont quasiment pas été cités et c’est dramatique. A part l’intervention de Véronique on se demande comment tout ce qui a été présenté s’effectue.

    Par contre attention sur un point :
    lorsque monsieur Buquen dit tout ce qu’il a dit sur l’incapacité des entreprises en IE et l’impératif besoin d’accompagnement par les instituons on voit bien qu’il n’a pas forcément mis les pieds dans les entreprises qui font de l’IE et qui n’ont surtout pas honte de faire (bien) de la veille… Mais celles là ont autre chose à faire que de courir les plateaux… (PS : j’exclus la SNCF du lot qui a présenté un retour d’expérience intéressant…)

    Ce qui ressort surtout de façon évidente de cette conférence c’est l’incapacité chronique des institutions à mettre en place des véritables dispositifs de soutien et de développement de l’outil intelligence économique.

    Les guéguerres de clocher entre minefi / intérieur, CCI / prefs and so on ont montré à quel point les entreprises avaient tou intérêt à se prendre en main sans compter sur ces dernières. Et fort heureusement nombre d’entre elles ont fait de belles choses !

    Tout dernier point enfin : si tu étais une entreprise qui fait de l’IE, qui a mis un dispositif pointu, irais tu l’exposer dans le détail devant une assemblée publique ???

    @ Jean-Marc Oui, long is the road !!! Il y a du travail mais globalement j’ai quand même l’impression d’avoir en face de moi des entreprises conscientes désormais des enjeux, essayant toutefois d’aller de l’avant…avec toutefois malheureusement souvent des budgets ridicules par rapport aux enjeux liés à l’IE et à la veille.
    Frederic – Actulligence

  • ddufour

    Vos propos ne m’étonnent pas : je constate chaque jour, combien les systèmes – presque tous – se protègent et qu’en France ( et ailleurs également ?), la reproduction des schémas et de la pensée empêchent des émergences. On parle de « réseaux  » mais il ne s’agit la plupart du temps de cercles. C’est dire qu’au lieu d’avoir une approche organique, le cercle, forcément restreint cristallise.
    merci pour votre intervention …

  • Arnaud Velten

    Salut Mélanie

    Je reflechi à un sujet IE 1.0 Vs IE 2.0

    En serais tu ?
    Si cela se fait ?

    Cordialement

    Arnaud Velten @BIZCOM,
    Anciennement : ETHOCOM

    Voir : http://blogs.lesechos.fr/article.php?id_article=344 en 2006

  • IE Love PME

    Merci pour ce retour.

    Ne vous inquiétez pas je vois ça régulièrement.

    Continuez de garder votre esprit critique tellement rare dans ce domaine d’activité.

    IE Love PME

  • Josselin Raguenet de Saint Albin

    @ Frédéric Martinet : « Tout dernier point enfin : si tu étais une entreprise qui fait de l’IE, qui a mis un dispositif pointu, irais tu l’exposer dans le détail devant une assemblée publique ??? »

    très bonne remarque. on voit dans un sens s’opposer deux visions de l’IE, celle de la veille et du KM, pour laquelle une synergie entre les PME françaises a une vraie signification, celle d’une valeur ajoutée par le partage et la circulation des informations stratégiques ; et d’un autre côté l’IE — moins « française », plus BI — qui n’exposera pas ses bonnes recettes pour garder l’avantage concurrentiel que lui apporte l’IE.

    @mélanie, merci de ce retour, franchise de ton. l’IE c’est avant tout regarder les choses en face. est-ce vraiment la dynamique politique actuelle ? cf l’article de IE Love PME : http://www.ielovepme.com/strategie/431-comment-la-chine-utilise-un-projet-industriel-en-france-pour-recuperer-une-concession-de-600-000-hectares-de-matiere-premiere-dune-pme-.html

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