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IE et économie

La compétitivité stratégique de la France au XXIème siècle

Tel était le thème du colloque organisé à l’Ecole Militaire le 26 mai dernier par trois prestigieuses écoles, le CID (Collège Interarmées de Défense), l’ENA (Ecole Nationale d’Administration) et HEC (Hautes Etudes Commerciales) qui représentent d’une certaine manière la puissance intellectuelle de la France mettant en synergie trois forces, facteurs de puissances, militaire (CID), étatique (ENA) et commerciale (HEC).

La puissance est évidemment facteur de compétitivité et la réciproque est également vraie. Ainsi, fallait-il parler de la notion de puissance pour une première table ronde. Trois intervenants venant de différentes sphères ont pris successivement la parole : pour la sphère académique, François Géré, président fondateur de l’Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS) ; pour la sphère militaire, l’Amiral Thierry d’Arbonneau, directeur de la protection du patrimoine et des personnes chez Areva ; pour la sphère parlementaire, le député (Nouveau Centre) Philippe Folliot, auteur de France-Sur-Mer, un empire oublié.

François Géré nous a livré des concepts théoriques sur la notion de puissance et une typologie des puissances étatiques qui mérite d’être évoquée. Il les distingue en deux catégories formées elles-mêmes de sous divisions. Il y a les puissances de statu quo, celles qui ont toujours gardé de l’influence. Dans ces puissances dites de statu quo, on retrouve les puissances passives dont la stratégie est plutôt défensive et les puissances actives dont la stratégie consiste à un renforcement permanent de la puissance comme c’est le cas aux Etats-Unis. A côté de ces puissances, on retrouve les puissances perturbatrices divisées en trois sous groupes : les puissances ascendantes, qu’on appelle plus couramment émergentes (Brésil, Inde, Chine) ; les puissances déclinantes (la France en fait-elle partie ? tel peut être le sujet d’un débat) ; celles en phase de récupération de puissance comme la Russie. François Géré souligne cependant à juste titre que le facteur nucléaire transforme ces catégories traditionnelles. Ainsi, le Pakistan équipé de la bombe mais pourtant dénué quasiment de toute puissance économique, diplomatique et culturelle fait figure de puissance car l’Etat est équipé de l’arme la plus destructrice au monde.

Nous pouvons compléter cette typologie en définissant les puissances selon une hiérarchie. Une hyper-puissance peut à elle-seule garantir la sécurité mondiale, intervenir seule partout où elle le désire sans se heurter à des sanctions. Elle peut également exclure une question de l’agenda international dans les réunions diplomatiques et exclure également un Etat de la table des négociations. Un seul pays aujourd’hui est en mesure d’être une hyper-puissance : les Etats-Unis. Une superpuissance peut garantir la sécurité de ses Etats satellites et peut intervenir en toute impunité dans ces mêmes Etats. Au niveau diplomatique, elle a la capacité à ajouter un point dans les réunions internationales et peut fédérer ses Etats satellites autour de sa position. Aujourd’hui, il est difficile de nommer une réelle superpuissance. Il y en a eu deux au temps de la Guerre froide, l’URSS et les Etats-Unis. Une grande puissance protège des intérêts globaux et peut intervenir où elle veut dans le monde. Sur le plan diplomatique, elle est capable d’influencer l’agenda international et a la possibilité de réunir une coalition autour de ses vues. Le Royaume-Uni en est sans doute une même s’il suit généralement les positions américaines. Une puissance moyenne protège des intérêts locaux, est capable d’intervenir sur un territoire étranger. Diplomatiquement, elle peut influencer certains thèmes de l’agenda international et peut négocier son ralliement à une coalition. La France occuperait ainsi une position hybride. Il est difficile de la placer dans la catégorie des grandes puissances. Ce serait malhonnête. Il serait faux aussi de la catégoriser comme puissance moyenne. Elle a été une superpuissance au temps de Napoléon. Elle a été une grande puissance au sortir de la première guerre mondiale ainsi que sous l’ère du Général de Gaulle. Aujourd’hui, elle ne jouit plus de la même influence mais il faut noter certains rebonds qui empêchent de la désigner comme seulement une puissance moyenne. Elle a réussi à une former une coalition lorsqu’elle a désapprouvé en 2003 l’intervention américaine en Irak. Elle a constamment influencé sous l’ère Sarkozy les décisions européennes (Union pour la Méditerranée, crise en Géorgie, crise grecque…). Et en dehors de la scène européenne, elle a réussi à influencer la diplomatie mondiale en étant le fer de lance du G 20. Enfin, dernière catégorie, les puissances régionales. Elles peuvent nuire sur les flux internationaux, peuvent intervenir dans un périmètre étranger proche. Sur le plan diplomatique, elle a son mot à dire dans l’agenda régional et peut mettre son veto dans l’émergence d’un consensus régional. C’est le cas par exemple du Brésil.

Je ne m’attarderai pas sur les propos de l’Amiral Thierry d’Arbonneau dont les propos, cela dit fort intéressants, étaient plus consensuels. Il a cependant rappelé le rôle de l’Europe comme nouvelle puissance mondiale mais a souligné qu’elle ne deviendra véritablement puissance que dans la mesure où elle sera dotée d’une capacité militaire propre. Il a eu le mérite de citer Jean de La Fontaine : « toute puissance est faible à moins d’être unie ».

Dans cette table ronde, il était nécessaire d’écouter avec attention l’intervention du député Philippe Folliot. Enfin, un discours positif, optimiste qui change du ton morose et quotidien des déclinologues. Auteur de France-Sur-Mer, il ose dire que la France sera la première puissance mondiale en 2058. Raconte-t-il un conte de fées ? Sommes-nous dans l’utopie complète ? Pas vraiment si on écoute bien ses arguments. Avant d’être une puissance continentale[1], la France est une puissance maritime[2] parce qu’on a trop tendance à se focaliser sur la métropole et pas assez sur ses départements et territoires d’outre mer. Avec notre domaine maritime, nous sommes le deuxième pays le plus étendu au monde juste derrière les Etats-Unis. Nous sommes présents sur quatre continents et trois océans. Malheureusement, nous n’exploitons pas aujourd’hui toutes les ressources que nous offre cet espace maritime. En matière d’énergie, la mer est une véritable source inépuisable (l’énergie provenant des vagues, de la houle, celle provenant des courants thermiques ainsi que les éoliennes offshore). Le député nous alarme aussi sur la situation dans une quarantaine d’années. On estime la population mondiale en 2050 à neuf milliards. Les cultures vivrières ne pourront suffire à nourrir cette population. Il faudra aller chercher d’autres ressources. Elles seront dans les océans à commencer par les algues. Philippe Folliot considère que dans l’absolu, on connaît mieux l’espace que l’océan. 95% des océans sont à découvrir. Et puis, il y a évidemment le problème de l’eau potable. Le dessalement de l’eau de mer n’est pas assez connu. Pourtant, il cite Barcelone, la ville espagnole dont l’eau potable provient en grande majorité du dessalement de l’eau de mer. Il regrette également que dans le débat sur « le grand emprunt », la problématique maritime ait totalement été oubliée. Il a salué l’organisme IFREMER (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer), « la NASA de l’océan » selon ses mots. Il a conclu son exposé par cette phrase du grand navigateur Tabarly : « les Français ont la mer dans le dos quand ils regardent la plage ». Il ne faut donc pas oublier cet atout stratégique fondamental pour notre puissance.

La deuxième table ronde abordait la thématique des nouvelles conflictualités et de la sécurité globale. Trois intervenants ont pris la parole : pour le monde industriel, Antoine Bouvier de MBDA ; pour le monde militaire, le Général Henri Bentégeat, ancien Chef d’Etat Major des Armées ; enfin, pour le monde parlementaire, le député UMP Bernard Carayon, spécialiste des questions d’intelligence économique.

Antoine Bouvier nous a fait la promotion des industries de défense comme levier de compétitivité stratégique. Elles sont des industries de haute technologie, de souveraineté et elles apportent de la substance à des accords stratégiques. Enfin, elles ont généralement une dimension européenne. Elles sont aussi un levier de cohésion sociale. MBDA est ainsi le premier employeur de la région Centre (Bourges).

Le député Bernard Carayon a évoqué plusieurs leviers de compétitivité, pas seulement le levier industriel. La circulation ultra rapide de l’information est un facteur multiplicateur des crises et les rend plus difficilement solvables. Dans ce contexte d’augmentation des crises, sont apparus de nouveaux acteurs qui peuvent peser sur la compétitivité stratégique comme les ONG et les Think tank. Il faut donc aujourd’hui composer avec ces nouveaux acteurs. Autre levier de compétitivité, la puissance intellectuelle et culturelle, éléments piliers du soft power[3]. La France a des atouts en cette matière : des écoles de qualité comme celles qui ont organisé ce colloque. Les lycées français à l’étranger sont également facteur d’excellence. Et en matière de puissance culturelle, n’oublions pas que nous sommes la première puissance touristique au monde et que notre « savoir vivre » s’exporte quasiment partout. Notre modèle social est très attractif et de nombreuses entreprises même américaines s’inspirent aujourd’hui de la flexibilité à la française. En matière d’influence, il ne faut pas non plus oublier comment la France a géré la crise financière mondiale en 2008 et comment elle a été leader dans la construction du dernier plan de sauvetage de l’Union européenne. Bernard Carayon a rappelé l’importance fondamentale que joue le fond stratégique d’investissement pour relancer la compétitivité économique française.

Il est dommage qu’on n’ait pas entendu parler durant cette conférence de politique d’intelligence économique comme facteur de compétitivité. On observe tous les jours comment le système d’IE américain, japonais ou chinois aide efficacement leurs fleurons industriels. La France se dote d’un système de plus en plus performant mais qui nécessite encore des améliorations. Nous avons des secteurs d’excellence, notamment dans le domaine de l’armement, mais parfois, nous ne connaissons pas assez les marchés mondiaux pour remporter des contrats. Ceci est dû à un manque de renseignement économique. Nous avons un autre secteur d’excellence, le nucléaire. Pourtant, nous avons connu un échec cinglant : l’EPR d’Abu-Dhabi. Il était pourtant incontestablement le meilleur, le plus propre et le plus productif mais il était dix milliards de dollars plus cher que l’offre proposée par les Sud-Coréens. Est-ce bien raisonnable de viser un pays en voie de développement avec de la technologie haut de gamme ? Nous ne savons pas nous positionner sur les marchés mondiaux ! Cela rappelle terriblement notre échec dans la vente des Rafales au Maroc qui s’est finalement tourné vers les F-16 américains bien moins chers.

Aymar de Chaunac


[1] Les puissances continentales ont une stratégie de contrôle des ressources et des territoires. Leur atout est la profondeur stratégique, qui les garantit contre une invasion rapide, et des ressources abondantes. (les 100 mots de la géopolitique, Jean-Marc Huissoud et Pascal Gauchon)

[2] Les puissances maritimes ont une stratégie de contrôle des routes pour sécuriser leurs approvisionnements et leurs débouchés, et pour maintenir l’ennemi loin de leurs côtes. Leur atout est l’isolement. (les 100 mots de la géopolitique, Jean-Marc Huissoud et Pascal Gauchon)

[3] Nouvelle forme de la puissance. La séduction, la persuasion deviennent des vecteurs privilégiés. Le soft power est associé à des ressources de puissance intangibles telles que la culture, l’idéologie et les institutions. En bref, il consiste à obtenir des autres qu’ils veuillent la même chose que vous. (les 100 mots de la géopolitique, Jean-Marc Huissoud et Pascal Gauchon)

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