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Rapport Douillet : la France en route vers une politique publique d’intelligence sportive

Le 20 avril 2010, Métis-ACIE publiait son compte-rendu de la conférence sur l’intelligence sportive tenue par David Douillet à l’EGE avec, en avant-première, quelques indiscrétions sur son futur rapport. Notre titre posait la question suivante : vers une politique publique d’intelligence sportive ? Trois mois plus tard, le 09 juillet 2010, le député des Yvelines remet le fruit de son travail à l’Elysée son travail. Intitulé « L’attractivité de la France pour l’organisation de grands événements sportifs », il a pour mesure phare la création d’une Agence du sport français. A la lecture de ce rapport et de ses propositions, on constate une réelle volonté de la part des auteurs d’instaurer une politique publique d’intelligence sportive. Encore faut-il qu’il soit maintenant suivi et appliqué ! 

David Douillet soumet donc neuf propositions pour attirer les grands événements sportifs sur notre territoire. Plus qu’une question de modernisation des infrastructures nécessaire mais insuffisante, l’ancien champion olympique de judo propose une véritable stratégie pour que la France accroisse sa compétitivité lors des courses à l’organisation des événements sportifs internationaux dans un monde où les pays émergents rendent les choses beaucoup plus compliquées. 

Proposition 1,2 et 3 : une politique d’intelligence sportive

Les trois premières propositions sont le cœur de la politique « publique » d’intelligence sportive proposée par le député. Première proposition, développer une stratégie nationale concertée. L’idée est simple : il faut en finir avec les « one shot » comme le montre par exemple l’histoire des candidatures parisiennes aux Jeux Olympiques. Une stratégie nationale permet d’avoir une vision globale et cohérente sur le long terme. Cela passe par une planification des événements et une hiérarchisation des objectifs pour éviter la dispersion des efforts. Ici, le rapport propose une typologie d’événements :

  • Les événements qui répondent à la politique de développement de certaines fédérations. 
  • Les événements qui intéressent la France en termes d’image et d’influence : c’est le cas des compétitions hyper-médiatisées mais aussi des sports émergents ou très pratiqués à l’étranger (X-Games, kitesurf, tennis de table…)
  • Les événements qui montrent au CIO la disponibilité et la présence de la France.

Dernier volet de cette stratégie : l’examen des projets des candidatures par une structure spécifique comme le font les Suisses, les Allemands, les Espagnols ou encore les Britanniques.

Autre point essentiel de cette stratégie d’influence : la présence de Français aux postes stratégiques dans les instances internationales. Un rapide survol permet de constater que les Français sont déjà très présents au sein des organismes internationaux mais soit ils ne sont pas à des postes stratégiques soit ils ne travaillent pas suffisamment dans l’intérêt du pays. Pourtant, l’exemple de la victoire pour l’Euro 2016 et le rôle décisif de Michel Platini dans cette réussite (cf. l’article de Métis-ACIE sur ce sujet) sont une très bonne illustration de l’importance de ce point. Cette politique d’influence commence d’abord par une détection des futurs cadres notamment chez les sportifs de haut niveau et par leur formation (aux langues étrangères, au lobbying, à la communication…). 

La stratégie d’influence se poursuit par une évolution des modalités d’élection des présidents de fédérations. Autrement dit, David Douillet suggère de passer au « suffrage universel » sur un modèle « un club = une voix ». Une proposition que l’on a déjà entendue dans le brouhaha du débat sur l’équipe de France de football et sur la gouvernance de la FFF (par le président de la LFP Frédéric Thiriez entre autres) mais qui concerne toutes les fédérations. L’avantage de ce système est multiple. Les candidats devront faire campagne, donc avoir un programme clair et ambitieux mais aussi disposer d’un certain charisme toujours utile dans les instances internationales. Par conséquence, cela signifie aussi avoir des comptes à rendre aux clubs à la fin de chaque mandat. Bref, on cherche à professionnaliser le système et à en finir avec les gérontocraties bananières où des présidents bénévoles sont réélus à l’unanimité sans réel bilan comme au temps de Staline ! D’ailleurs, le Président de la République est allé dans ce sens lors de son intervention télévisée du 12 juillet. Enfin, cette stratégie se termine par le pilotage de ce réseau par une personne clairement identifiée.

La troisième proposition, c’est-à-dire la mise en place d’une démarche d’intelligence sportive, est, selon moi, le socle des deux autres. Finalement, quelques lignes y sont consacrées mais elles engagent un énorme travail notamment sur les mentalités. On peut retenir trois actions :

  • Un travail de veille qui reposera notamment sur l’expérience et les outils de la cellule de veille de la Préparation Olympique et Paralympique de l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance). Bien sûr, il faut dépasser ce cadre et aller plus loin dans la récolte d’informations pertinentes.
  • Une mobilisation des ambassades pour soutenir la politique sportive. Plus facile à dire qu’à faire quand on connaît le mépris des ambassades et des Affaires Etrangères pour ces questions.
  • La coopération avec les fédérations et les comités nationaux olympiques étrangers. On le sait, ce genre de partenariats est indispensable pour obtenir les faveurs des membres du CIO par exemple. La Chine et le Brésil notamment l’ont très bien compris.

Alors que l’intelligence économique reste plutôt méconnue dans l’opinion publique, on regrettera tout de même l’absence de définition claire de l’intelligence sportive, surtout que cette expression est systématiquement mise entre guillemets. Les rédacteurs auraient pu saisir cette occasion pour éclaircir une fois pour toute cette notion. Il suffit simplement de reprendre la définition de l’intelligence économique (mais laquelle me dira-t-on !) en l’appliquant au milieu sportif.

Propositions 4,5,6 et 7 : développement des infrastructures

Je ne m’attarde pas sur ces propositions car il n’y rien de réellement novateur. Le rapport fait un nouveau constat de la vétusté des infrastructures (66 ans de moyenne, autant dire que l’âge de la retraite est arrivé !) et reprend pour les salles sportives une partie des conclusions du rapport Arenas 2015 de Daniel Constantini[1] et pour les stades du rapport de Philippe Séguin. David Douillet recommande la construction de tous les équipements nécessaires à l’accueil des grandes compétitions (cinq ou six salles d’environ 20000 places, les stades pour l’Euro 2016, un stade aquatique et un nouvel espace pour le tournoi de Roland-Garros). Ces structures seront impérativement multifonctions afin de pouvoir multiplier les manifestations tout au long de l’année et donc de les rendre viables économiquement. Les deux autres propositions visent à faciliter leur construction par une simplification et une sécurisation du cadre juridique.

La septième proposition s’intéresse aux mesures fiscales et suggère entre autres de mettre fin à  la taxe sur les spectacles en la remplaçant par un assujettissement à la TVA à taux réduit. On espère que le gouvernement aille dans ce sens. La taxe sur les spectacles est une taxe complètement injuste  qui met à mal l’égalité entre les clubs et les sports. En effet, selon les municipalités et les disciplines, cet impôt peut aller de 0 à 21% des recettes de billetteries ! La France défend le fair-play financier, commençons d’abord par appliquer ce principe chez nous !

A noter que la rénovation du stade Jean-Bouin n’a pas été jugée viable économiquement notamment à cause de sa proximité avec le Parc des Princes, du peu de manifestations annexes prévues et de la possibilité pour le Stade Français d’évoluer à Charléty. Cela a bien évidemment provoqué un tollé à la Mairie de Paris qui accuse le député UMP de manœuvres politiciennes et de manquer d’objectivité. Il est vrai que le Stade Français à besoin de changer de stade pour se développer. Cependant, on peut quand même s’interroger sur la pertinence de l’endroit surtout que le projet raye de la carte les autres sports pratiqués sur le site qui devront se délocaliser. Un Charléty rénové ne suffit-il pas ?

Proposition 8 : la qualité des dossiers de candidature

Le rapport Douillet aborde ensuite la construction de dossiers de candidature de qualité, c’est-à-dire des dossiers qui s’appuient donc sur des infrastructures modernes et une stratégie d’influence efficace. En plus du côté technique, les dossiers doivent aussi valoriser les « atouts traditionnels » et les « nouveaux axes d’excellence forts » de la France. Parmi les atouts traditionnels, on trouve pêle-mêle : la qualité des infrastructures d’accueil (hôtellerie et restauration), de santé et de transports, l’expérience dans l’organisation de grandes compétitions (Coupe du monde de football et de rugby, Roland-Garros, Tour de France par exemple), la lutte contre le dopage où la France est un pays moteur ou encore la capacité à assurer la sécurité des participants et spectateurs. Etonnamment, on ne retrouve pas dans les atouts traditionnels français la stabilité politique et économique (qui existe même en temps de crise quoiqu’on en dise). Ces deux critères sont pourtant des gages de sérénité et de sécurité dans un dossier de candidature. Dans les nouveaux points forts, on remarque l’inévitable développement durable, la promotion des handisports mais aussi « la volonté d’améliorer l’héritage laissé par l’événement », autrement dit, de construire dans la durée. On ne retrouve toutefois pas dans ces points forts la jeunesse, thème qui fonctionne très bien auprès des membres votants.

Proposition 9 : la création de l’Agence du sport français

C’est la mesure médiatique du rapport même si, selon nous, elle n’est pas la plus essentielle. Cette agence du sport français se substituerait au Centre National pour le Développement du Sport (CNDS) avec pour grandes missions le développement des pratiques sportives et la promotion internationale du sport français. Elle serait dirigée par un président qui serait également élevé au rang d’ambassadeur du sport français. Ce président-ambassadeur serait nommé par le Président de la République sur proposition du Ministre des Sports et validé par le Parlement. Un tel mode de validation est un signe fort de l’importance du poste. Tout de suite, les mauvaises langues diront que David Douillet se crée un confortable fauteuil pour son avenir. Cependant, le rapport semble exclure sa candidature : « Cette fonction ne devrait pas pouvoir être confiée à un élu ni à une personne ayant exercé une responsabilité politique dans un passé récent, afin de garantir une indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et une impartialité aux yeux du mouvement sportif international. » Pas de David Douillet ni de Bernard Laporte par exemple. Bien sûr, tout cela reste au conditionnel… Enfin, l’agence serait composée de membres de la Direction des sports, du Comité National Olympique et Sportif (CNOS), des collectivités territoriales, d’entreprises et du Délégué Interministériel aux Grands Evénements Sportifs (DIGES). La présence des entreprises dans cette structure est pour moi vitale. Se passer d’elles dans la conquête des compétitions est une illusion tant au niveau des infrastructures que de la stratégie d’influence.

Trois commissions – celle de la promotion du sport français à l’international, celle du développement des pratiques sportives et celle des équipements sportifs – se partagent plusieurs missions reprenant les propositions du rapport : stratégie générale de soutien aux grands événements, pilotage de la stratégie d’intelligence sportive (qui doit comprendre pour nous la stratégie d’influence), expertise et soutien financiers et techniques, formation des élus et des dirigeants…

De telles ambitions demandent à la fois une décision politique forte, des moyens financiers importants et une certaine révolution culturelle. La décision politique serait avant tout la création de l’agence selon les propositions du rapport. Quant aux moyens financiers, David Douillet nous disait lors de sa conférence qu’ils étaient déjà disponibles. Les changements de mentalité se feront petit à petit quand le président-ambassadeur prendra son bâton de pèlerin et que les formations chez les élus commenceront.

Sans l’énoncer clairement, l’intelligence économique, ses outils, ses méthodes sont au cœur du rapport. Pourtant, on remarque l’absence criante de plusieurs personnalités dans la liste des auditionnés qui auraient pu apporter un angle plus IE et influence. En effet, je doute que les fonctionnaires du Ministère des Sports soient les personnes les plus appropriées pour parler d’influence sportive ! Peut-on se passer (officiellement) de l’avis d’un Pascal Boniface, d’un Christian Harbulot ou même de Jean-Philippe Germont, le premier ayant parlé d’intelligence sportive ? Pourquoi ne pas prendre également l’avis de la Délégation Interministérielle à l’Intelligence Economique ou de l’ancien HRIE ?

Pour l’instant, on ne peut que souligner les bonnes intentions de ce rapport, intentions qui font écho à celles affichées dans les rapports Arenas 2015 et Augier. Après tous ces travaux, il est maintenant d’agir !

Pour consulter le rapport, cliquez ici


[1] Remis en mars 2010, le rapport de la Commission «Grandes Salles » propose une stratégie de modernisation des grandes salles sportives pour l’horizon 2015. La Commission présidée par Daniel Constantini veut notamment créer un label « Arena » pour des salles multifonctionnelles.

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